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Argentine

Extraits

HERNÁN

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours connu Hernán. Sa famille habitait la maison voisine de la nôtre dans le quartier de Retiro. Hernán et moi sommes nés la même année, nous avons fréquenté les mêmes écoles et nous sommes restés amis, jusqu'à aujourd'hui, des décennies et un millénaire plus tard. Tout a changé. Pourtant, vu sous un certain angle, nous sommes toujours là.
Hernán est un type bizarre. Une énigme ambulante. Depuis l'enfance, il se distingue de la norme. Il parle rarement, ne juge pas. Je suis à peu près le seul à comprendre son humour décalé. En général, il inspire la défiance. Ou tout autre sentiment qu'induit la peur de ce que l'on ne maîtrise pas. Le monde, la vie et les événements le traversent sans laisser de trace apparente. Il se tient de profil, un pied appuyé contre le mur, avec son sourire en coin, les yeux baissés. Hermétique et impassible. Jamais je n'ai tenté d'interpréter les motifs de son attitude. Pas plus hier qu'aujourd'hui. De même, je ne l'ai pas incité à changer, à se montrer plus sociable. C'est lui, Hernán, et voilà tout. Nous nous situons aux antipodes l'un de l'autre. Mais nous sommes les bornes auxquelles nous nous mesurons l'un et l'autre. Les stèles sur lesquelles nous retrouvons les fragments inaltérables de nos identités, alors que rien n'est comme avant, que tout vole en éclats. Alors que nous vieillissons.
Petit déjà, Hernán ne participait pas aux jeux de notre bande de gamins. Il nous accompagnait partout où nous nous faufilions, dans le quartier animé de la gare, près des bordels du port, et puis, au fur et à mesure que nous grandissions, dans les rues sans limite de Buenos Aires. Il nous suivait, calme et silencieux, sans doute égaré dans les labyrinthes mentaux qu'il construisait à son seul usage. À certains moments, on aurait pu croire qu'il nous surveillait. Ou bien qu'il accentuait sa différence à travers ses réticences. Mais il avait besoin de nous. De notre folie. De nos discours incessants et désordonnés. D'une manière ou d'une autre, à sa manière en tout cas, il nous aimait.
En classe, il s'asseyait au dernier rang, indolent, sourire aux lèvres, regard perçant. Il obéissait aux injonctions de nos professeurs, ni plus, ni moins. Son esprit errait ailleurs sans que nous puissions deviner où exactement. Ceux qui le rencontraient pour la première fois l'interrogeaient, tentaient de le faire sortir de ses gonds. Sans succès. Alors, comme les autres, de guerre lasse, ils abandonnaient. Ils finissaient par accepter cette présence silencieuse et pourtant lourde de sens. Ce sourire mélancolique et ce regard qui vous ramenaient les pieds sur terre en vous indiquant à quel point tout ça, là, paraissait futile.
Quand Hernán forçait sa nature et se décidait à prendre la parole, c'était souvent par monosyllabes, sur un ton à la fois doux et empreint d'ironie. Il s'exprimait de loin, de l'extérieur. Il vous examinait avec l'œil de celui qui mesure l'espace parcouru par chacun des mots lâchés parcimonieusement avant d'atteindre son interlocuteur.
Néanmoins, dès l'école primaire, deux sujets lui faisaient perdre cette morgue distante qui le caractérisait. Moi qui le connaissais bien, j'en usais et abusais. Ainsi, malgré les nombreux blancs dans la conversation, nous parvenions à discuter pendant les longs après-midi d'été. Nous parlions de football ou d'Hernán Cortés, le conquistador. Hernán était un aficionado de Boca Juniors, le club des bas quartiers, des pauvres et des déshérités. Moi, comme mon père, je supportais River Plate, l'aristocratique, l'éternel rival. Les derbys - les superclásicos - donnaient lieu à de savants décorticages et à des débats interminables. Mon ami pavanait quand Boca remportait le championnat d'ouverture. Et j'en faisais de même quand River prenait sa revanche au cours du tournoi de fermeture. Dans ces moments-là, il se lâchait. Un nouvel Hernán apparaissait, spontané et de mauvaise foi. Sur un autre plan, il était fasciné par la personnalité détestable, sanguinaire, engoncée dans ses certitudes du conquistador, son homonyme. Il jaugeait l'Espagnol à l'aune de sa terrible efficacité, sorte de parangon de l'espèce humaine vouée au chaos et à la dévastation.
Ces deux passions l'ont poursuivi sa vie durant, jusqu'à ce jour. Et il n'y a aucune raison que ça s'arrête. À l'adolescence, un matin, sur le chemin du collège, il m'a annoncé sur le ton de la révélation : « Tu sais, ce type, Cortés, c'est incroyable. Il a découvert un monde. Entièrement nouveau, extraordinaire. Il l'a conquis et détruit, sans le moindre remords. » J'ai répondu : « Ouais, à la longue, je connais l'histoire. Nous sommes nés sur les décombres. » Deux ou trois minutes ont passé pendant que nous avancions, perdus dans nos pensées. Comme d'habitude. Pourtant, au bout d'un moment, il a ajouté : « Cortés, c'est l'humanité. Nous lui ressemblons. Et c'est effrayant... Les hommes ne valent pas tripette. Ils en sont si peu ou tellement conscients qu'ils sont capables de trucs énormes et monstrueux. »
Chez lui, sur sa platine, trônait Zuma de Neil Young. Hernán passait inlassablement l'avant-dernier morceau de la deuxième face, Cortez the Killer. Le titre terminé, il reprenait d'un air pénétré les derniers vers avec son accent irrésistible : « I still can't rememberrr wherrr / Orrr how I lost my way / He came dancing accrrrross ze water / Cortez,Cortez / What a killerrr ». Tel était alors Hernán : il rabâchait ses idées. Il essayait de trouver le schéma d'ensemble dans de sombres recoins sans issue, là où ses déductions le conduisaient immanquablement.
Je me souviens aussi de cette anecdote : un jour, nous regardions la télévision chez moi, avachis dans le fauteuil du salon. Abasourdis par les imbécillités qui défilaient à toute allure sous nos yeux sans que nous puissions les arrêter, nous restions muets, comme hébétés. À un moment, je me suis tourné vers lui. J'ai vu des larmes rouler sur sa joue. Hernán pleurait, visage impassible. Je me suis redressé et je lui ai demandé ce qui se passait. Il s'est lentement tourné vers moi, avec son petit sourire énigmatique. Il m'a simplement répondu : « Les larmes éteignent les incendies. » Je n'ai rien obtenu de plus.
Autour de nos dix-huit ans, avec son noyau dur et ses électrons libres, le groupe que nous formions continuait à exister. Au gré des circonstances beaucoup de nos anciens amis avaient été remplacés par d'autres. Parmi ceux-ci, il y avait Juan Serafini avec qui Hernán avait très vite sympathisé. Jusqu'à ce qu'ils deviennent inséparables. Au début, j'en éprouvais une sorte de jalousie. Puis je me suis adapté à cette nouvelle donne. Nous avions maintenant nos copines. Des ambitions élevées. J'appréciais Juan Serafini et Gabriela, sa compagne du moment. Ils formaient à mes yeux un couple modèle : énergie, brin de folie et liberté.
Hernán possédait cette beauté évidente et incontournable que l'on rencontre rarement. Il n'en avait aucune conscience. Ce qui, vu de l'extérieur, décuplait encore l'éclat de son apparence. C'était l'époque où nous nous contemplions dans les miroirs et les vitrines, très fiers de nos allures. J'ignore comment se comportait Hernán seul face à son image, mais je mettrais ma main à couper qu'il s'en désintéressait. Les filles tournaient autour de lui comme des papillons attirés par la lumière. Quand il les remarquait, toujours le dos appuyé contre un mur ou un poteau, une jambe pliée, il détournait le regard et crachait par terre. On lui connaissait quelques brèves aventures. Des passades d'une nuit, pour se résoudre à faire comme tout le monde, ce qui m'étonnerait de lui, ou pour expérimenter de nouvelles sensations. Mais ça en restait là. Ce n'était pas son truc, voilà tout. Il planait ailleurs, encore une fois, Hernán.
Les années s'entassaient. Peu à peu, nous avons rangé nos ambitions au placard. Nous nous sommes mariés, moi le premier. Certains ont quitté la ville. Les plus téméraires ou les plus lucides ont émigré. Nous avons eu des enfants, moi le premier. J'ai décroché mon permis puis un boulot de chauffeur routier. Un métier difficile. Mais ici, en Argentine, je crois que c'est pire encore. Pourtant j'avais de la chance : je gagnais de quoi régler mes traites. Beaucoup d'entre nous ne trouvaient rien. Et par conséquent, ils se débrouillaient avec des bouts de ficelle. Jusqu'à ce que la crise nous engloutisse les uns à la suite des autres, moi parmi les derniers.
Au fil du temps, je me suis habitué à mon métier. J'y ai pris goût. J'ai parcouru le pays de long en large. J'en connais chaque province, chaque route nationale, chaque ville importante. J'ai en tête des paysages du Chubut ou des Misiones qui me hantent. Parfois, je m'imagine propriétaire d'une petite maison au bord de cette route que j'ai fréquentée. Je me vois, retraité, assis dans un fauteuil à bascule sur la véranda, contemplant le coucher de soleil sur la plaine monotone. Ou tournant le regard vers les montagnes au loin, qui tremblent et s'effacent dans la poussière soulevée par le déboulé des camions.
En général, je m'absentais des semaines entières et je crois que ça arrangeait tout le monde, ma femme et mes enfants compris. J'ai acheté un petit pavillon à Lanus. J'y revenais au bout d'une lune pour constater que mes enfants avaient commencé à m'oublier. Et que ma femme se débrouillait très bien sans moi. Nous avons divorcé il y a peu. Dix ans trop tard.
Quand l'ennui me gagnait tout là-haut dans ma cabine et que la route n'en finissait pas, j'avais inventé un jeu qui m'amusait follement : je branchais la radio sur une chaîne nationale. J'écoutais cinq à six minutes d'interview barbante. J'attendais que le ou la journaliste pose une question particulièrement nigaude à l'écrivain ou au politicien invité. Je le laissais débuter sa réponse et après quelques mots, tout-puissant, je lui coupais la chique d'un appui sec sur le bouton interrupteur. Ça donnait ceci. La journaliste : « ... et vous avez mis cinq ans pour écrire ce livre. Un travail difficile ? » L'écrivain : « Oui. Écrire est une souffrance. Je... » Clac. Ronron du moteur dans le premier virage depuis des lustres. Je me sentais ragaillardi, paré pour des heures de conduite ininterrompue.
Hernán possédait toutes les caractéristiques d'un écrivain. S'il avait eu l'orgueil nécessaire, je suis certain qu'il aurait pu écrire des livres magnifiques. Mais il s'en fichait, comme du reste. Je pense que cette idée ne l'a pas effleuré. Par contre, je suis tout aussi certain que s'il avait écrit, il n'aurait pas répondu ce genre de niaiseries à la journaliste. Il l'aurait fait mariner dans le jus de ses questions en la regardant en coin, sourire moqueur sur ses lèvres closes. Laissant flotter sur les ondes une longue suite de points de suspension.
Soumis à l'éloignement et aux distorsions du temps, les liens qui nous unissaient se sont relâchés. Mais on se voyait de loin en loin. On en avait besoin. Et s'il est une chose qui n'a jamais changé, qui ne changera jamais, c'est bien la rivalité entre Boca et River. C'est un peu comme si les seules fondations stables de notre monde étaient enfouies sous les terrains de football : un championnat pour Boca, un pour River, et ainsi de suite, à l'infini. Les résultats, les acquisitions de joueurs ou les renvois d'entraîneurs alimentaient nos conversations quand on se retrouvait et qu'on ne savait plus trop quoi se dire. Ensuite, nous enchaînions et, à notre rythme particulier, rythme imposé par les silences d'Hernán, nous retrouvions les vieilles sensations, le plaisir de rester côte à côte, sans rien se dire, en se passant le maté par-dessus la table.
Il habitait un studio minable à Retiro, dans le quartier où nous avions grandi. Il avait trouvé un job de réceptionniste de nuit dans un hôtel du centre-ville. Ça lui convenait à merveille. Son maigre salaire lui filait entre les doigts. Il était toujours fauché, malgré sa vie austère. Vêtu de son sempiternel tee-shirt de Boca flanqué du numéro 10, il se contentait de rendre visite à ses amis, de payer son modeste loyer et d'avaler le plat du jour à la gargote du coin. Il avait un abonnement au stade de la Bombonera. Il lui arrivait de suivre l'équipe jusque dans ses déplacements les plus lointains. À mon avis, c'est là que tout son argent disparaissait. On m'a rapporté qu'une fois dans le stade, il se déchaînait comme seuls en sont capables, paraît-il, les supporters et les joueurs argentins. Il faisait partie d'un groupe d'ultras particulièrement violent. Toujours cette dichotomie inexplicable dans ses comportements.
Juan Serafini, par décision, se retrouvait de nouveau célibataire. Il ne travaillait pas et vivait encore chez ses parents. Il entamait des études puis s'en désintéressait aussitôt. Et ainsi de suite. Hernán et Juan se rencontraient tous les jours. Ils passaient des heures attablés aux terrasses des cafés. Juan Serafini, animé, tenait le crachoir pendant que ses yeux s'égaraient sur les jambes des filles. Hernán scrutait le fond de son verre en réfléchissant. Distrait, il remarquait à peine les interruptions dans le débit de Juan Serafini qui ne pouvait s'empêcher de lancer quelques compliments bien tournés à l'adresse des plus belles femmes de passage. À notre grande surprise, ce style d'approche fonctionnait souvent. Juan Serafini interrompait alors son célibat pour une période plus ou moins longue. Jusqu'à ce qu'il rencontre Guadalupe avec qui il s'est tout de suite installé. Avant que, tout aussi rapidement, le couple ne se sépare. Mais il a suffi de cet intermède dans leur relation pour que Juan et Hernán se perdent de vue. Après la séparation, Juan Serafini est parti pour un long voyage à travers le continent. À son retour, il avait changé. Il s'était mis à fréquenter des idéologues, il cherchait l'action. Pas vraiment le style de la maison, ni celui d'Hernán.
Ainsi qu'il l'avait pressenti, Hernán se retrouvait désormais isolé. Quand je l'interrogeais sur le sujet, il prétendait que ça ne le dérangeait pas. Qu'au contraire, il s'y était préparé de longue date. Nous étions maintenant bien avancés dans la trentaine. Selon lui, tout ce qui nous arrivait était parfaitement prévisible. Tellement prévisible.
Quoi qu'il en dise, il devait y avoir une faille dans ses préparatifs. Parce que, sortie de nulle part, Sofía Gallegos Corti est apparue. Hernán le célibataire endurci a succombé. Il s'est lui aussi marié. Incroyable. Je me souviens avec précision du jour de la cérémonie. Assailli par des émotions contradictoires, j'y assistais dans un état d'hébétude saupoudré de mélancolie, de surprise et de joie. Je m'étais placé en retrait, au dernier banc. Je savourais la vue d'ensemble et je n'en croyais pas mes yeux : Hernán, dans une église, très beau, bien entendu, malgré le costume de location trop grand pour lui, échangeait l'anneau en coulant vers l'élue des regards énamourés. Les amis étaient présents, éparpillés. Toutes les strates de nos existences, exposées là, dans cet endroit incongru. Quelques minutes plus tard, je me suis rendu compte que chaque regard, dont le mien, convergeait immanquablement vers la même personne. La mariée. Absolument sublime. Sofía Gallegos Corti, l'oiseau rare.
Aristocrate déchue, belle et subtile, elle avait quitté une vie imaginée par d'autres en claquant la porte de l'hacienda familiale, près de Córdoba. Son diplôme de droit en poche, elle avait travaillé comme juriste dans la capitale fédérale. Dégoûtée par sa profession et ses fréquentations, elle avait à nouveau tout abandonné pour vivre dans la misère avec une bande d'artistes conceptuels avant-gardistes. De refus en refus, elle était tombée sur Hernán le nihiliste, son double inversé. Elle, la femme flamboyante. Lui, l'homme secret. Sofía m'avait raconté qu'elle s'était retrouvée à la même table qu'Hernán avec un groupe de personnes dont elle ne se souvenait plus. Elle était fascinée par ce type silencieux qui lui avait jeté deux ou trois regards indifférents. Quand il s'était levé pour rentrer chez lui, elle avait obéi aux ondes électriques dans son corps qui lui commandaient de se lever à son tour. De ne surtout pas réfléchir. Elle l'avait suivi, rattrapé et aimé. De son côté, Hernán m'avait avoué que l'ultime test avait eu pour théâtre le stade de la Bombonera. Il avait emmené Sofía à un match de Boca, au milieu des ultras. Elle avait adoré. Il l'avait demandée en mariage ce soir-là, au sortir du stade. Ils ont eu des jumeaux. Diego et Gabriel, comme Maradona et Batistuta, ses idoles. « Hernán Cortés junior, je le réserve au troisième », m'avait-il soufflé à l'oreille, sans que je puisse deviner s'il se moquait de moi ou s'il était sérieux.
Elle avait repris le collier et dirigeait une agence de communication spécialisée dans le domaine artistique. Elle réussissait. Comme toujours. Hernán, quant à lui, avait quitté son travail de nuit et vivait aux crochets de son épouse. Il s'occupait des garçons, assistait aux matchs, flânait. Ils en avaient convenu tous deux et ils s'accommodaient de leur nouvelle vie. Il y a eu quelques années de bonheur, je crois.
En 2001, le pays a définitivement sombré dans la crise. Bienvenue au troisième millénaire après la naissance du rédempteur. Amen pour tout le monde. J'ai résisté plus longtemps que la plupart de ceux que je fréquentais. Sofía a tenu bon. On a toujours besoin de chauffeurs routiers et de femmes magnifiques. Mais j'ai malgré tout fini par perdre mon emploi, du jour au lendemain. Le reste a suivi. Sofía et Hernán m'ont hébergé dans leur appartement bourgeois de la Recoleta. J'observais Hernán qui jouait avec les garçons, le soir, après leur avoir préparé le repas. Ensuite il les mettait au lit. Et nous devisions tranquillement devant la télévision. Des émissions où le gros lot ne consistait pas en une somme d'argent ou un voyage de rêve mais bien en un emploi de vendeur dans une grande surface. On en était là. Nous éclations de rire. Le nouvel Hernán n'était pas plus bavard que l'ancien. Il avait simplement l'air, comment dire, apaisé, serein. Serein, oui, c'est ça. Sofía rentrait tard. Elle se débrouillait bien. Ils ne manquaient de rien. De toute manière, Hernán n'était pas matérialiste. Il se contentait de peu, pourvu qu'il puisse payer sa place au stade.
Quelques semaines ont passé puis j'ai senti qu'il valait mieux que je m'en aille. J'ai dormi dans la rue. J'ai vécu d'expédients et j'ai réussi à me dénicher un studio. Je voyais Hernán régulièrement. Il s'inquiétait pour moi, je le devinais à des marques d'attention inhabituelles. Un beau jour, incidemment, une ancienne connaissance nous a appris que Juan Serafini s'était évaporé. Qu'il était parti sans laisser d'adresse, sur un coup de tête. Je n'y ai guère prêté attention. Juste un autre naufrage alors que nous étions tous déboussolés. Que nos repères s'écroulaient. Alors que nous concentrions notre énergie sur la survie, sur des objectifs précis et immédiats comme la quête d'un toit ou la recherche de nourriture.
Hernán, par contre, s'est montré particulièrement affecté par ce qu'il venait d'apprendre. Il s'est mis à enquêter, de manière obsessionnelle. Chaque fois qu'il prenait la parole, c'était pour demander : « Où est Juan Serafini ? » La question passait de bouche en bouche. Une sorte de blague récurrente. Une estampille de la crise. Hernán comprenait où tout ça pouvait le mener mais il n'en démordait pas. « Où est Juan Serafini ? Où est Juan Serafini ? Où est Juan Serafini ? » Il prenait l'affaire très au sérieux. Il n'a pas cessé pendant deux ans. Jusqu'au moment où l'accident est survenu.
En fait, après tout ce temps, Hernán commençait doucement à admettre que quelque chose de grave s'était passé. Que Juan Serafini ne réapparaîtrait pas. Pourtant, au fond de lui, il ne parvenait pas à s'y résoudre. Son « Où est Juan Serafini ? » était sa marque de fabrique. À la fin, il en souriait et en rajoutait pour le plaisir de nous amuser. Comme si la répétition avait valeur d'exorcisme. Et que les mots rituels sans cesse répétés détenaient le pouvoir magique de nous ramener Juan. Comme si ces mots, emplâtres consolateurs sur le réel, se révélaient capables d'atténuer l'évidence en la détournant.
Dans le pays, la crise s'était installée et stabilisée. Difficile de descendre plus bas. Vaille que vaille, les Argentins s'organisaient. Malgré le marasme, quelques entreprises rouvraient. J'avais trouvé de l'embauche comme chauffeur dans une de ces nouvelles compagnies. Je m'y rendais tous les matins. Certains jours il y avait du travail. D'autres pas.
Sofía avait enfin renoué les liens avec ses parents. Elle se trouvait dans la demeure familiale, à Córdoba, quand elle a téléphoné à Hernán pour lui proposer de la rejoindre avec les enfants. À l'âge de sept ans, Diego et Gabriel n'avaient pas encore rencontré leurs grands-parents maternels. Hernán a accepté l'idée. Il a décidé de faire le voyage en voiture. Il se montrait enthousiaste et se réjouissait à l'avance de ce qu'il présentait aux jumeaux comme une aventure. Ils sont partis en janvier, à la belle saison. L'accident s'est produit à mi-parcours, peu après Rosario, quand la route quitte les rives du Paraná pour obliquer vers le nord-ouest.
Une gazette locale a rapporté les faits. J'ai l'article sous les yeux. Il est illustré d'une photographie du véhicule plié depuis le capot avant jusqu'à la portière arrière droite. Le côté conducteur est épargné. Le journaliste rapporte brièvement qu'Hernán a percuté un camion qui roulait en sens inverse. Presque un choc frontal. Les enquêteurs dépêchés sur les lieux ont aussitôt conclu à la faute du conducteur de la voiture. Le routier n'avait pas dévié. Pour une raison inconnue, en pleine ligne droite, Hernán avait quitté sa bande de circulation. À mon avis, il s'était retourné pour aider un des enfants. Il avait commis une maladresse, avait touché le volant, et une seconde plus tard, le drame était joué. Je ne vois pas d'autre explication plausible. Diego et Gabriel sont morts sur le coup. Hernán, par miracle dit-on, a survécu. J'aimerais qu'on me le prouve. Parce que la vie avait déserté celui que j'ai retrouvé plus tard. Hernán a sombré dans le coma pendant six semaines. Sofía se tenait à ses côtés quand il a repris connaissance.
D'après elle, il a ouvert son œil valide, il a porté la main à son œil estropié recouvert d'un bandage puis, d'un demi-regard donc, il a fait le tour de la pièce, en levant la tête. Quand il a aperçu sa femme, il a deviné ce qui lui était arrivé. Tout de suite, il a demandé : « Où sont Diego et Gabriel ? » Elle n'a pas eu le courage de lui annoncer la vérité. Elle a répondu : « Dans une autre chambre. Ils vont bien. » Sa gorge s'est serrée et pour la première fois depuis l'enterrement elle a pleuré. Hernán a tenté de se soulever sur le coude. Il est retombé au fond de son lit. Il savait. Il n'avait gardé aucun souvenir de l'accident, mais il avait compris qu'il ne reverrait plus les jumeaux.
Les médecins se montraient sidérés par la vitesse à laquelle leur patient récupérait. En trois mois, Hernán était sur pied. De retour à l'appartement, il s'est muré dans le silence. Il fulminait, s'en voulait d'être encore en vie. Derrière son œil définitivement fermé, il ressassait les bribes du voyage imprimées sur le film interrompu de sa mémoire. Dans le rétroviseur, les enfants pouffaient. Et lui, il chantait à tue-tête un vieux tango, en roulant des triples r. Chaque fois qu'il se trouvait seul avec Sofía, il répétait à l'infini : « Où sont Diego et Gabriel ? » Il avait le regard mauvais de l'homme qui se déteste. Borgne et mauvais. L'atmosphère est devenue irrespirable. Sofía est retournée à Córdoba.
Notre dernière rencontre date d'il y a trois mois. J'ai pris le train pour le delta du Tigre. Ensuite le bateau-bus. J'ai mis des heures à dénicher sa cabane. Une cahute sur pilotis, protégée des parcelles voisines par une haute rangée de pins. À quelques distances, des enfants jouaient dans l'eau. J'ai escaladé l'échelle branlante et j'ai poussé la porte entrouverte. Aveuglé par le contraste entre l'obscurité qui régnait dans la cabane et la clarté scintillante du jour, j'ai heurté une chaise. Personne n'a bronché. J'ai attendu. J'ai deviné une forme allongée sur une paillasse, là, dans la pénombre. De son œil unique, immobile, Hernán m'observait. Il s'est assis et m'a indiqué d'un geste de la main d'en faire autant. J'ai pris place à ses côtés. « Tu n'as pas vu Diego et Gabriel ? » J'ai hésité. J'ai souri. Peu à peu mon sourire s'est transformé en rire irrépressible. Il m'a rejoint. Et nous avons ri ensemble. Quand les hoquets ont cessé, il m'a pris dans ses bras et m'a tenu longtemps contre lui, la tête posée sur mon épaule. Je lui ai donné les dernières nouvelles de Boca. River venait d'étriller son rival au cours d'un derby de légende. Hernán a froncé les sourcils, incrédule. J'ai sorti la bouteille de pisco chilien que j'avais apportée à son intention. Nous l'avons éclusée au goulot. Je me suis endormi à même le sol. Hernán ronflait comme un diable.
Le lendemain, au réveil, nous avons évoqué de bons vieux souvenirs de jeunesse. En les frôlant, par crainte de les briser. Comme si nous égrenions les perles d'un bijou précieux, oublié au fond d'un tiroir en désordre. Il était temps que je m'en aille. Dehors, il pleuvait des cordes. Je me suis abrité sous ma veste et j'ai couru jusqu'au ponton. Le bateau accostait. À bord, je me suis acquitté du prix du passage puis je me suis retourné. Le préposé a détaché l'amarre et le barreur a poussé les gaz. J'ai fouillé la berge du regard. Hernán avait disparu derrière l'averse. Je me suis assis, me demandant quand je reverrais mon ami. Insensiblement, le paysage a glissé. La pluie diagonale rebondissait sur la surface en une multitude d'explosions silencieuses.


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Presse

 "Pour son roman, Argentine, Serge Delaive, né en 1965 à Herstal, vient de se voir attribuer le Rossel, une des récompenses littéraires les plus briguées en Belgique francophone. Ce roman par nouvelles, son troisième, qui a failli s'intituler « Nouvelles d'un roman » a séduit un jury de romanciers eux-mêmes lauréats de ce prix décerné depuis 1938 par le quotidien Le Soir. 
 « Je sais ce qu'il cherche. Ca ressemble trait pour trait à ce qu'il ne trouvera pas. »
Paru aux éditions La Différence, le roman de Delaive met en scène sept personnages, venus d'Europe et d'Amérique, dont certains qui disparaissent et d'autres qui les recherchent.  Vingt années de leurs allées et venues nourrissent un roman fait de vies éclatées, sur fond de crise politique, sociale, économique mais aussi existentielle. Entre Liège, l'Argentine et le Chili, en passant par la Hollande, le récit est ponctué de portraits attachants d'hommes et de femmes blessés, entre nuages et paysages. Le lecteur retrouvera avec plaisir dans ce roman-puzzle certains protagonistes, fictifs ou non, comme Lunus et Juan Serafini, du précédent roman Café Europa. À n'en pas douter,  romancier, Serge Delaive aime faire évoluer des personnages en quête identitaire, qui ne sont pas des héros et qui cherchent leur voix unique dans le chaos. Parce qu'ils lui ressemblent ?
C'est un fait que je ne puis plus nier : il m'est arrivé d'avoir des écrivains pour amis, d'avoir des amis qui se révèlent écrivains ou même de prendre mes amis pour des écrivains. Serge Delaive est tout cela à la fois et sûrement le premier d'entre eux. L'amitié qui nous lie, même s'il m'en voudra de l'écrire, est bel et bien née sous le signe d'une amitié littéraire. Les premiers poèmes qu'il me montre, La soixante et unième seconde, donneront la matière des premiers recueils Légendaire et Monde jumeau. Au panthéon de ses auteurs dans ces années de formation, un étrange tiercé : Rimbaud, Philip K. Dick et Hugo Pratt.
Chez Serge, auteur à ce jour d'une quinzaine de livres de poésie et de prose, ce qui me frappe depuis toujours, c'est sa modestie, voire son humilité face à son travail d'écrivain, qui a pu confiner parfois, à ma grande irritation, au dénigrement de son œuvre. Pour celui qui a grandi dans l'entourage artistique de Jacques Izoard ou d'Eugène Savitzkaya dont il a vu défiler l'effervescence, la barre était sans doute d'emblée placée très haut...
Il suffit d'ailleurs de voir le profond scepticisme dont il fait montre aujourd'hui pour accueillir ce prix. Car Serge Delaive est de ces écrivains chez qui la sincérité est un ingrédient essentiel. Il ne triche pas. Il faut que la vie et l'écriture communiquent en lui. Ou rien. Ses voyages, ses expériences, sa famille et ses amis prennent place dans ses livres, à côté de l'imaginaire. En poésie comme en prose, il a mis au point une écriture originale, parfois âpre et amère, toujours directe, qui s'encombre peu d'images et que traversent les humeurs du moment. L'angoisse qui accompagne les personnages du roman Argentine n'est certes pas une fiction, mais une transposition romanesque des doutes et des tragédies qui habitent Delaive. C'est ainsi que la disparition du père est lisible, soit en filigrane, soit de manière explicite, dans nombre  de ses textes. Cette adéquation entre son œuvre, ses lectures et sa vie font de lui à mes yeux un écrivain exemplaire et sans compromission. Serge Delaive est aussi un homme pour qui une bonne hygiène mentale semble liée à la pratique de la littérature : pour un peu, il vous demanderait, en lieu et place de « Comment ça va ? », « As-tu écrit ? ». En tous cas, envers moi, c'est ainsi qu'il se comporte. Nul doute que pour lui, les écrivains doivent avant tout s'occuper d'écrire...
En 2004, Café Europa reçoit un excellent accueil critique, est nominé pour le Rossel, et rencontre son public. C'est une page qui se tourne pour Serge, à qui la reconnaissance littéraire va commencer à sourire. En 2006, s'opère un fulgurant retour à la poésie, avec Les jours, peut-être le recueil le plus abouti, qui recevra le prix Marcel Thiry. Depuis, les poèmes se sont succédé sans relâche (Poèmes sauvages, Le sexe des bœufs, Une langue étrangère). Serge écrit dans le long terme, peaufine un univers littéraire qui se complète d'un livre à l'autre. Ses trois premiers recueils de poèmes formaient une Trilogie Lunus / Poésie. Les romans Café Europa et Argentine sont les deux premiers volets de la Trilogie Lunus / Roman. Mais qui est donc ce Lunus, personnage omniprésent dans l'œuvre delaivienne ? Un double fantasmé ? Un alter ego,  un frère rêvé que ses ailes de papier n'empêchent pas de voler ? Peut-être finalement n'est-il rien d'autre qu'un reflet du lecteur qui accepte le miroir que l'auteur lui tend...
Malgré une vie professionnelle (Serge est tour à tour enseignant, logisticien pour MSF en Afrique centrale, coordinateur de projet, chômeur, puis formateur et coordinateur pédagogique), familiale et sociale chargée, il semble avoir en lui une tension permanente, un besoin d'écriture qui ne baisse jamais. Il prend des notes, tient un journal, retravaille énormément... . Enfin, Serge Delaive vit, aime et voyage, voyage pour vivre et aimer, et semble écrire pour aimer oublier qu'il n'est pas en voyage. Je ne connais personne qui soit autant que lui hanté par le désir de s'évader, de soi-même et du monde. De n'être présent que dans l'ailleurs.
Avec une déjà impressionnante carrière littéraire à son actif,  il est aussi photographe d'instants secrets et a exposé à Liège et à Paris. Que ce soit dans le roman, la poésie, la photo ou tout simplement dans la vie, Serge Delaive m'apparaît surtout comme un homme qui avance armé de sa subjectivité et comme quelqu'un en qui je n'ai pas fini de croire. Difficile pour moi de partager tout mon Delaive. Dire qu'il faut le lire d'urgence, et non seulement le romancier rossellisé, mais aussi le remarquable poète qui se souvient de Yeats et de Corto Maltese et qui parle des femmes qui font taire les oiseaux.
Comme il faut aussi savoir fermer les livres et partir. "

Karel Logist, http://www.culture.ulg.ac.be/

" Fascinante errance entre Liège, l'Argentine et le Chili, cette prose poétique a devancé mon propre voyage au pays des gauchos. Dans la brume des petits matins solitaires au fin fond de la Patagonie, l'apparition de ces hommes libres et fiers m'a convaincue. Oui, il faut savoir partir."

Isabelle Spaak, in Le Vif/L'Express du 29 mai 2009.

"Il y a quelque chose de troublant et de désespérant dans le portrait de cette jeune génération, en quête de sa propre clairvoyance. De l'Argentine, le plus européen des pays d'Amérique Latine, alors en pleine crise économique, au Vieux Continent et ses brasiers, sept personnages se débattent dans le chaos de la vie, au bord du monde. Avec cet amer constat : La planète est une boule vivante, dont comme des vers de terre aveugles, nous arpentons et déchirons l'épiderme sans en trouver l'issue.
Une belle galerie...d'une génération perdue d'avance."

Thierry Clermont, in Le Figaro Littéraire du 26 février 2009.

"Le roman de Serge Delaive, une attachante Argentine, se compose de différentes nouvelles qui se répondent les unes aux autres, entre hier, aujourd'hui et demain, de l'Amérique du Sud à l'Europe.
Le procédé, très en vogue chez les auteurs ces derniers temps, est ici fort habilement exploité et c'est avec beaucoup de plaisir que l'on apprend à connaître les personnages de l'écrivain liégeois, chacun aux prises avec ses propres démons, ci et là, au rythme des fractales, ces objets mathématiques aléatoires appliqués ici aux sciences humaines.
On parcourt le monde, l'Argentine en crise, la Belgique de Herstal, la Hollande de Veere, l'Espagne des campings. On rencontre Lunus qui s'est enfui, son fils Lucas qui le cherche, Hernán anéanti depuis la mort de ses jumeaux, Sofía, leur mère, en deuil, Henk, un épatant photographe, et d'autres, chacun interférant peu ou prou sur les autres, selon l'« effet papillon »."

Jean-Claude Vantroyen, in Le Soir

"Ce roman énigmatique et dense tient de l'allégorie et avance sur plusieurs plans : politique, social, esthétique, psychologique... Tout y est signe. A nous de les interpréter."

Michel Torrekens, in Le Ligueur.

"... et toujours l'Argentine, de près ou de loin. Réelle ou rêvée Si ses villes, deltas, ports, sierras, frontières sont précisément indiqués, et la pauvreté extrême, la corruption de ses hommes politiques, l'injustice sociale, les malversations financières dénoncées, la beauté de ses fleuves, de l'océan, du ciel où l'albatros se rit de l'archer sortent du songe d'un poète, lui qui peut colorier le noir d'un regard... Il fallait bien cet homme multiple et son récit protéiforme pour déranger notre normalité laborieuse."

Jeannine Paque in Le Carnet et les Instants.

"Le nouveau roman de Serge Delaive, une attachante Argentine, se compose de différentes nouvelles qui se répondent les unes aux autres, entre hier, aujourd'hui et demain, de l'Amérique du Sud à l'Europe. Le procédé...est ici très habilement exploité et c'est avec beaucoup de plaisir que l'on apprend à connaître les personnages de l'écrivain liégeois, chacun aux prises avec ses propres démons, ci et là, au rythme des fractales, ces objets mathématiques aléatoires ici appliqués aux sciences humaines."

Lucie Cauwe, in Le Soir du 27 février 2009.

"D'un bout à l'autre du monde avec Serge Delaive.
Il exerce des métiers aussi nombreux que variés pour, ensuite, revenir à Liège, sa ville natale, où il anime la revue littéraire Le Fram.
C'est en 2004 qu'il rencontre le succès avec Café Europa. Lunus et Juan Serafini, personnages de cette révélation, trouvent aujourd'hui place dans un nouveau roman, Argentine.
Entre Amérique du Sud et Europe, entre 2000 et 2020, Argentine esquisse les tranches de vie de sept personnes, sept morceaux qui s'imbriquent les uns dans les autres pour former une histoire plus vaste dans laquelle tous sont, d'une manière ou d'une autre, liés au pays.
certains personnages et les descriptions de photos de Robert Capa ou de James nachtwey étendent son statut de poète et romancier à celui de voyageur et photographe."

AH, in Sabam Magazine, n°58.


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Serge Delaive | ArgentineArgentine, roman, La Différence, Paris, 2009.