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Herstal

Extraits

Photo 1

Tout commence au bord de l’eau.

Les saumons et les anguilles reviennent à l’endroit où ils sont nés. Tu es de retour chez toi. Deux décennies d’infidélité. Tu as vu le monde par intermittences puis tu t’es installé loin, très loin : sept kilomètres en amont du fleuve. Mais il est des infidélités impossibles et sans cesse en marche. Les territoires de ton enfance. Une géographie imprécise injectée dans cet afflux de lumière. Du gros grain imprimé en filigrane sur la paraffine de tes neurones. Prendre quelques photos. A Herstal. A la maison.

Tu as réfléchi à des plans compliqués : quels lieux ? Dans quel ordre ? Pourquoi ceux-là et pas d’autres ? Selon quel plan ? Qu’atteindre dans la marée ? Evidemment, tu t’es égaré dans des constructions compliquées. Et maintenant te voilà à pied d’œuvre, sans réponse. L’évidence se dresse devant toi, fuyante et pourtant palpable. Tu n’as pas d’autre choix que de t’en remettre à ton instinct. Quelque chose comme ça.

Une seule certitude : il n’y aura pas le moindre visage. Ils viendront un autre jour, dans une autre précipitation de la mémoire. La mémoire : le liquide contient des objets étranges qui dérivent entre deux eaux. Tu vas à la rencontre d’un Herstal de paysages, un Herstal désincarné.

Vendredi 4 mars 2011. Tu montes dans ta voiture. Deux heures de fin de matinée devant toi. Jour de grève. Un ciel sans tache, lisse, et la lumière oblique d’une fin d’hiver. Voici l’unité de temps. Alors, peut-être, tu iras à l’essentiel. Mais tu devines déjà que tu éviteras d’inciser le cœur, la demeure familiale au bas de la rue Louis Demeuse, les rue Hyacinthe Colette de la famille maternelle, la rue Auguste Donnay où a ensuite vécu ta grand-mère veuve, la rue Célestin Demblon de l’athénée des belles années et du maudit père du père. Trop de pactes noués dans ces parages. Excès de confluences.

Tu quittes l’autoroute au pont-barrage, traverses l’île Monsin, ses docks, ses tas de ferraille et de pierres, ses entrepôts déserts, là où trente ans plus tôt, en compagnie de ton frère et de Michel Collet tu avais libéré les amarres d’une péniche à l’abandon qui avait descendu seule le canal entraînant quelque catastrophe dont vous vous laviez les mains, en fuite éperdue au goût d’aventure, à fond de balle sur vos vélos.

Gamin de merde.

Tu ranges la voiture sur le bas-côté du pont Milsaucy. En suivant le talus, tu captures une première image. Surexposée. Tu te prépares à l’effacer puis tu te ravises. En fait, c’est ce que tu cherchais, exactement.

Comme quoi, ce que l’on nomme à défaut de mieux le hasard fonctionne parfois. Souvent parfois.

Tu progresses à travers les marécages des souvenirs, un endroit trompeur, en perpétuelle reconstruction, des sables mouvants qui t’entraînent vers le fond, une hydre à deux têtes. Le passé, le présent, sans cesse renouvelés. Des images délavées surnagent. Quelques traits giclent.

Un début acceptable.


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Serge Delaive | Herstal

Herstal, textes et photographies, Musée de Herstal, 2011. 

(Brochure de l'exposition présentée au Musée de Herstal en septembre et octobre 2011, uniquement en vente au musée.)