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Café Europa, poche
Presse
"Initialement paru en 2004 aux éditions de la Différence, ce roman lumineux est à insérer dans la bibliothèque parfaite. On comprend dès la première page pourquoi cette collection soutenue par la Communauté française de Belgique l'a inscrite à son catalogue: Serge Delaive possède un style, il a ce don de poser les mots dans un certain ordre -certainement hérité de son œuvre poétique florissante- qui offre à la lecture une musique singulière et envoûte le lecteur, excite les yeux qui devinent le plaisir qui les attend.
"La cicatrice de fumée court rectiligne au zénith. Elle fractionne la voûte en hémisphères jumeaux puis se dilue dans la matière monochrome. Silencieux, le scalpel de l'avion scintille et découd patiemment la suture invisible vers son point de fuite".
Lauréat du prix Rossel 2009, Serge Delaive atteint la reconnaissance à 44 ans, lui qui écrit depuis l'âge de 21 ans et compte aujourd'hui une vingtaine d'opus (poésie, essai, pamphlet, roman). Souvent ignoré des médias et du grand public, il publia en France comme bien souvent les auteurs belges, et son premier roman ne dérogea point à la règle, sans doute était-il trop "étonnant" pour les rigoristes wallons. Car Café Europa est un roman très personnel qui s'inscrit dans une ligne de vie: Lunus, le héros, est un peu le double de Serge, quand on connaît sa biographie, et dresser un parallèle n'est pas très compliqué. Famille nombreuse, suicide du père, mémoire universitaire sur les explorateurs, compagne coréenne, très nombreux voyages à travers le monde...
C'est d'ailleurs un tour du monde que nous propose ce roman, un périple à partir d'un carnet que noircit un jeune homme dans un café de Liège, ville de l'écrivain, quel drôle de hasard!
Il est tout aussi amusant de voir que Lunus était aussi présent dans les trois premiers recueils de poésie de Delaive, mais de là à totalement adhérer à la thèse du double... D'ailleurs, dans le roman ne déclare-t-il pas:
"Je suis décousu. Là est le propos".
Les chapitres s'enchaînent d'un continent l'autre tout en revenant au Café, mais comme cela est diablement bien écrit il n'y a pas de déstabilisation de la lecture, Delaive possède une technique très structurée pour souligner l'éparpillement existentiel de son personnage. De même, le récit le confirme:
"Quand les pièces du puzzle viennent de jeux différents, est amorcée l'évocation d'une brèche dans le temps".
Ce postulat nous est présenté dès les premières pages afin de libérer le concept et de laisser la forme littéraire s'emparer du roman, et séduire le lecteur... Grâce à la fluidité musicale et poétique du style de Delaive, le format, bâti sur une profonde anamnèse, offre un désordre d'une rare beauté qui ne nuit en rien à la facilité de lecture, bien au contraire, il fait œuvre poétique et tapisse les pages de délicates intentions. Preuve que l'on peut écrire quelque chose de formidablement érudit, compliqué, structuré et tout aussi agréable à lire; une raison supplémentaire pour se détourner des Levy / Musso et Cie.
"La nuit va tomber. De fait, elle tombe. Comme l'ultime ricochet d'une pierre plate et lisse, elle coule d'un coup après le dernier rebond, abandonnant à la surface du ciel des cercles concentriques qui s'écartent et se diluent".
Récits imbriqués les uns les autres, les voyage de Lunus sont des formes concentriques qui aboutissent à une révélation sur la plage vide de Cole-Cole, à quelques encablures de la fin du livre, éclairant d'une toute autre manière le propos initial par sa paradoxale absence de morale...
Mais rassurez-vous, l'éparpillement du récit ne pénalise en rien l'histoire (les arcanes de la création vues à travers les questionnements d'un globe-trotter) qui est parfaitement cohérente et s'impose dans un paysage impressionniste qui lui confère une certaine modernité."
François Xavier, Huffington Post, 5/12/2012.
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