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Légendaire

Extraits

Il y a quelque chose d'évident dans l'air
Une nécessité à laquelle je ne peux ma soustraire
Quand le soleil descend sous une perspective évasée de nuages

Le grand miroir capte un peu de lumière et l'image du sofa
Sans les dédoubler
Puisque le miroir est aussi source d'une nouvelle lumière
Et qu'il construit un autre sofa, essentiellement différent

Des photographies en noir et blanc, géographie ternie d'un voyage,
Éparpillées sur le sol, sans ordre apparent
Dans le désordre, apparemment
Mais je crois que ça ne m'aide pas

La première fois que tu es venue vers moi
J'ai fait ce que tu voulais
La mémoire est ce miroir qui ne retient pas
Une facilité.
Mademoiselle Ambiguïté souriait : « j'espère la lumière »
Tandis que la vérité enjambait le balcon

Le monde est rempli de ce qui a été perdu

Il y a quelque chose de la beauté naturelle
Qui explose dans cette chambre rectangulaire
Ceci, je ne peux l'exclure de mon jugement
Même si le définitif aussi
Surplombe les morceaux de ce que tu as brisé
La dernière fois que tu es venue vers moi
( Je me souviens de ta chair, de ton sang )

La solitude a enfilé mon corps
Je suis l'ami du soleil
Probablement de retour demain
Un jour
Qui sait ?
 


Elle se tient debout devant la large baie vitrée
Je sais qu'elle ne peut oublier
La lumière afflue maintenant et m'oblige à détourner le regard
Y a-t-il quelque chose que je puisse perdre et regretter ensuite ?
Ces questions suspendues à l'aube laminaire écoulée en compression
Peu importe, elles s'est habillée puis elle est partie

Les jours suivants, je me suis levé avant la lumière du matin,
Avant que cette horrible seconde flotte ailleurs.

Nous, les larrons
Dansons pieds nus
Par-dessus le bois de tek
Sans même effleurer
Les ponts des galions
Qui croisent au large
Des falaises de Dingli.

Nous sommes les magiciens de la tangente.
Colline, elle place les gerbes salées au ciel.
Mon compagnon arrive des alignements,
Il a l'indifférence du cèdre
Défiant le crapaud-buffle
Avec son fouet.

Nous avons tout dérobé
À la vision des hommes.
Ladres, nous dansons nu-pieds
Sur les ponts en flamme,
Inhalons le grésil des corps réduits
Et nous déguisons des gréements
De ces navires destinés à errer
Faute de n'avoir pas assez parcouru
Les estuaires.

Je suis le tailleur de pierres
Mes gravats
Feront vos ossuaires.
J'habite les carrières
Liant d'invisibles poids
Aux pieds d'anges prospères.

Je suis le tailleur de pierres
Qui inlassablement réduit l'uni.
Je travaille ce qui,
Comme vos squelettes,
Ne se perd.

Oublis
Éboulis
J'ai tenté de te quitter
Trois mille fois
Et quand j'allais y parvenir
Tu t'étais assoupie
Le mur prenait la fuite
Brique par brique
Je les ai comptées
Je m'en souviens
Parce que cette situation
Me paraissait absurde

Il y en avait trois mille
Tu étais dévêtue
Et absente
J'avais encore
Oublié de m'en aller.

 

Le vent saute d'un horizon à l'autre
Le soleil allonge les ombres vers Ouest puis vers Est
La femme imprime la trace de ses pas sur le sol
Les pieds de l'homme aux yeux crevés ne quittent jamais la roche

Le sang coule au milieu de leurs corps
Elle boit le sang quand il est noir
L'eau des rivières charrie la pureté des montagnes
Ils poursuivent le vent à travers les plaines infinies

Gwion : nous sommes des girouettes amoureuses du vent
Cerridwen : j'ai vu la terre accoucher des montagnes
Gwion : oui, mais la mort avance vite.
 

Est-il une chose absoute de nom ?
Est-il un arbre aux branches solides
Où pendre ceux par qui cela est advenu
Eux qui ont nommé toute chose, toute idée, toutes choses
Abandonnant le monde creux toujours là
Devant ma bouche ?

Moi, cerné par les nom appropriés
Étranglé par la langue du hibou
Je voudrais encore que l'orage
Émiette chaque mot
Que nous inventions la fin des langages
Afin que seules les pluies battent le tambour

Hurlant : nous sommes proches
Et si loin d'arriver. 

Tous les poèmes © Serge Delaive et Les Eperonniers


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Presse

« Habité de songes venus de loin, et comme reportés au-delà des frontières du réel, Serge Delaive renoue avec l’immensité de l’imaginaire… Les vers traversent le miroir en images fulgurantes et l’esprit s’élève, quitte le rationnel et gagne le terrain exaltant de tous les possibles. »
Pierre Maury, in Le Soir.


« Une fête remplie de lyrisme, d’élans, et aussi d’humour et d’élégance, à contre-courant du minimalisme et de la cérébralité. »
M.-L Bernard-Vernant, in La Libre Belgique.


« Né pour rêver, Serge Delaive traverse la géographie comme la légende et mêle instants de vie, instants de songe et rémanence de mythes antiques. »
Laurent Robert, in Le Carnet et les Instants.


« La parole émerge donc, comme un geste, pour tenter de combler cette béance originelle, cette rupture, et s’unifier à la Nature. En lui donnant sens, il se relie à elle tout en s’en distinguant, mais il en construit un monde. »
Marie-Clotilde Roose in Sources.


« Mythes, mémoire et chronologie entament un ballet vertigineux : si flux et reflux scandent le temps, le voyageur des mythes appelle un lyrisme nostalgique dont les notes douces soutiennent plus d’un texte douloureux. »
Frank Griese in Le Mensuel littéraire et poétique.


« Il est ici possible de se faufiler entre tout ce qui a été perdu et tout ce qui est impossible à atteindre. Le ton est calme, serein, le désespoir, joyeux. Le temps ne passe ni ne s’annule, il s’enroule sur lui-même dans un mouvement déjà fermé : anneau, sphère, orbite. »
Nancy Delhalle in Euregio.


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Serge Delaive | Légendaire

Légendaire, poèmes, Les Eperonniers, coll. Feux, Bruxelles, 1995.