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Par l'oeil blessé

Extraits

Baracoa

C'est l'été 1994 l'été de l'exode et de la pénurie
sur l'île de Cuba patiemment nous avons atteint Baracoa
elle et moi attentes sans fin dans les villages la misère
et puis Baracoa où Colomb Christophe le bien nommé
découvre sans doute possible qu'il s'est fourvoyé
avec son escadrille et ses croisés ce dont il ne cause
histoire que fructifient le grande découverte
et le matin radieux de tous les massacres
on commence toujours par nommer
puis on plante une croix
et on prie le reste va de soi

Une Russe blanche fuit 1917
des outils sur une bannière sang
définitivement pas son genre.
Elle ouvre un élégant hôtel aux lourdes persiennes
qui battent dans la nuit tiède vis-à-vis des Tortugas.
Pourtant le sort ne la néglige pas
et la révolution la recueille quarante années plus loin
aux abords de son exil sur les plages caraïbes
de Baracoa où, lasse des revers de fortune,
elle habite son antre désertée - Hotel Rusa -,
digne, à l'écart des rumeurs modernes,
balançant dans son fauteuil à bascule,
une main enfouie dans son labyrinthe tempéré,
l'autre fermement arrimée à sa bouteille de rhum
elle fume la meilleure herbe du monde dit-on
jusqu'au soir languide de la mort
venue sur un air de Són.

Enrique Saëta Freyre tel est le nom de notre ami
cet été au cours duquel nous dévorons
des cannes à sucre des boules de cacao des oeufs
en laissant pendre nos jambes par la fenêtre
de la Mercedes fatiguée, modèle 1953,
dont le radiateur tient lieu de plaque de cuisson.
Comme une enclume le mont Yaunque couvre la ville
et le manque pendant qu'Enrique sourit lentement
Il contemple sans le savoir un amour borgne
en déréliction à Baracoa, fêlure d'histoires.

Nord


Je suis d'automne cyclique
Et des pluies inclinées.
Je suis de novembre au cieux affamés
Et des tempêtes harmoniques.
Je suis des jours à puiser sous les draps,
Des lacs sombres et des roches sourdes.
Je suis des taciturnes
Et de la bruine des tavernes sous Saturne.
Je suis du nord.

Poèmes © L'Arbre à paroles et Serge Delaive


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Presse

« Delaive est un nomade. Ses mots lui servent de moyen de transport. Ils sont enfants de l'errance. Du vent passe dans ses histoires. Il est l'homme aux quatre cents fenêtres. D'une sensibilité nordique, il écrit aussi notre pays, de ses moments à vomir à ses hoquets et ses tentations de révolte. Il invente notamment un nouvel Hymne national. Un écrivain qui a les mots en poupe. »
Pascale Haubruge in Le Soir.


« Mâtée sous le signe de la gravité, la poésie de Serge Delaive court, au fil de  trois parties soigneusement délimitées, de la légèreté à la gravité... Savannah résume bien le ton de l'ensemble et en constitue une des plus belles réussites. On a là une sorte de nausée lente qui insinue sans fards un arrière-goût de Cuba Libre. »
in Traversée, N°19.


« Rien de confortable donc dans cette série de poèmes crus et directs qui ne font pas de littérature mais une mise en cause de la manière dont nous vivons...Avec un ton personnel (dans la ligne d'un Cliff, d'un Cendrars, d'un Larbaud), Serge Delaive dénonce l'essoufflement de notre monde. »
Eric Brogniet in Sources.


« Il y a du vent dans les voiles quand le poème flirte avec le texte de chanson, il y a des colères vives devant l'indifférence, de la haine devant la pierre froide des amours achevées. Serge Delaive nous invite à cogner les mots pour faire jaillir les étincelles du regard neuf. »
Guy Delhasse in La Wallonie.  


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Serge Delaive | Par l

Par l'oeil blessé, poèmes, L'Arbre à paroles, Amay, 1997.