Livres » Revolver

Revolver

Extraits

Poème à retourner contre soi

Il écrit ce poème envers
et contre lui ce revolver
d'orfèvre survivant de la
colonne Durruti la rime
ici il l'abandonne ça tonne
et ça fait crac vous vouliez
des vers mais le poème se
déchire quand le flingue
troue la nuit d'un orage
ô le désespoir s'éteint
sur ce jour mal étreint
qui inaugure la liste longue
des phrases et du papier
c'est qu'avec Maïakovsky
ou Malatesta l'insoumis
il avait des maux à vous dire
et de vos cervelles repentantes
il aurait façonné des bijoux
de charpie ciselés
avec sa main d'airain
comme l'arme anarchiste
que cette main défunte déposa
à hauteur de ses reins
Nos larmes n'ont jamais séché
voilà pourquoi ces poèmes déchirés
Il disait c'est la forme qu'il faut
pourfendre avant toutes choses
la suite tombera jusqu'à la tombe
naturellement et là nous voulons
nous rendre défenses baissées
pour l'y rejoindre
Que l'on nous pardonne nos offenses
la vie vaut peu de chandelles .

Sans doute

En un dixième de seconde
un peu moins sans doute
mon enfance s'est plombée
sur une détonation
et depuis c'est elle que je cherche
à mesure que tous les jours
un peu plus sans doute
mon enfance m'échappe
et je l'ai traversée sur les continents
dans la foule et la solitude
aussi sur des ventres matriciels
et j'ai fouillé les angles du monde
à l'envers j'ai dormi dans le lit des secrets
qu'on épluche un à un le dernier découvrant
le suivant comme poupées gigognes
pour refluer au point de départ
où tout commence quand l'enfance
finit je n'ai rien trouvé sinon rien
on a beau jouer le jeu le jour
feindre que vivre au coin d'un sourire
on sait quand même qu'au milieu de soi
quelque chose à l'écart pourrit
et qu'à cette rapide moisissure
il est inutile de rétracter
la dernière consonne de détonation
parce que ça sonne le temps à peine
d'un dixième de seconde vous aviez un père
et le voilà en allé avec votre enfance
sur son épaule puis il faut bien vivre
devenir père et simuler peut-être
de croire en la poursuite
d'un temps révolu disparu
au moment mécanique du revolver
le temps d'annuler le temps
un peu moins un peu plus qu'importe
des bras chauds un modèle
une exigence et la belle et pure folie
entre lesquels loger notre enfance
à côté du coffre aux trésors
de tout ce qui est à jamais
sans nul doute
perdu.

Ce que l'on sait, ce que l'on ne sait pas

Samedi 21 juin 1986
Solstice d'été soleil à l'écliptique
Quand ce soleil se fige pour que tu le toises
Avant la saison de ton participe passé
Et que tu le mettes au défi de soutenir le jour
A verser dans la coupe de la nuit brève
Tu incendies tes rétines dès l'aurore
Parce qu'aujourd'hui quelqu'un doit mourir
Et répandre de l'huile dans la serrure de l'huis
Ouvrant au vestibule des enfers

 

Comme le jour aveugle que le soleil arrache à la nuit
A chaque victoire est cousu un revers
Il faut un revolver pour marcher dans la guerre
Voici pourquoi parabellum je renverse le vers
Avec ses équivoques à celui du poème
Le même qui naguère a vermoulu ta carcasse
Celui du piège à parois sur l'abeille d'Innisfree
Ou de tes focales du soleil ce matin

Dans les chambres de la demeure chacun dort
Ton épouse en travers du lit
Où tu ne lui as pas fait l'amour de solstice cette nuit
La sonnerie du téléphone te donne tort
Docteur Michel il est huit heures
Le vieux Tulker serre la main d'agonie
Mais tu ne dois pas permettre que quelqu'un meure aujourd'hui
Surtout pas lui qui est ta serrure sur la porte
De l'apogée anarchiste un soleil arrêté
En hâte tu revêts tes habits de mort
Une urgence encore qui t'arrache à la nuit proche

Après avoir posé les gestes utiles
A relever le vieux vers la vie qu'il a bien vue
Tu restes seul dans cette masure que je sais
Au bout de la ruelle de silence ronflant
Tu t'empares du revolver dans le tiroir secret
L'arme - quelques mois auparavant
je tenais le rôle du chauffeur de mon père
incapable de conduire le bras en bandoulière
tu tiens à ce que j'entre chez Tulker
tu dis suis-moi connais-le
personne n'a parlé derrière
les verres de genièvre la lumière grise
des fenêtres basses sans perspective
comme les versets d'une litanie ou
d'une adresse incantatoire aux glorieux défunts
des causes perdues mais tu lui as demandé
d'exhiber son revolver ses larmes son paravent
un bel objet à la crosse d'ivoire
maintenant que j'y vois clair sous les années d'orage
je m'interroge : dans quelle mesure était-ce prémédité
et de quel jeu étrange suis-je tacitement devenu l'otage -
Tu accomplis à l'envers le chemin du retour
Jusqu'à la demeure où chacun de nous dort
Tu descends les escaliers qui mènent au sous-sol
Tu poses la bouche froide du canon contre ta tempe
Ce que l'on sait les faits en l'absence de vérité
Le vieux Tulker surnagera pourtant quelqu'un doit mourir

Questions quelle lumière t'as heurté ce matin
A travers les verres concaves quel solstice
Quelle urgence à descendre te descendre
Dans la cave de nos punitions et de nos armistices
Combien de temps pour affermir la décision
Pleurais-tu devant de soudaines icônes
As-tu plissé les yeux juste avant d'actionner la
DETENTE
As-tu ôté tes lunettes comme préalable au combat
Parmi tes multiples lequel te guidait
Aurais-tu agi de la sorte s'il y avait eu une cigarette à fumer
Etais-tu enfin le taureau de ton zodiaque au centre des arènes
Animal indompté bravant païen la mort ce torero d'opérette
Sous la chape d'un soleil blême avide de son dû
L'imbécile tient toujours une raison trempée dans l'acier

Mais par-dessus tout avoue-moi
Que tu as songé sur le trajet de renverse
A t'arrêter chez ton père
Pour lui infliger l'unique munition du barillet
Précisément sous la poutre de potence
Où ta mère s'est balancée dans l'affront
Histoire d'un ultime bras d'honneur
Au clou qui d'habitude soutient le gui

Quand la nuit la plus courte de 1986 se soulève
Au Mexique loin de Belgique c'est toujours le jour
Solstice d'été soleil à l'écliptique
Du verbe essentiel notre participe passé
Le roi Zico sans couronne quant à lui
Ne pourra boire la coupe aux lèvres du monde
Ce soir tu aurais prétendu docteur Delaive
La séance de tirs au but de ce Brésil - France
Ressemble à s'y méprendre à une roulette russe
Qui voit le meilleur s'en aller en fin de compte
Et laisser place au pire à survivre.

copyright Serge Delaive/L'acanthe/SNELA La Différence


[top]


Presse

Ce recueil est épuisé. Dix exemplaires avec couvertures fabriquées maison (mauves ou bleues) augmentées d'un autoportrait photographique sont disponibles. Me contacter à la rubrique idoine.

« Et quand nous refermerons pour un temps, en ses reflets, ce dit de la colère émue et l’infaillible cicatrice qu’éprouve cet ouvrage, nous serons devenus à jamais responsables des crimes familiers que la mort dégorge patiemment dans la boucherie incestueuse où se renversent, au fond de l’inouï, la morsure et l’indécence de sa plus imprudente authenticité. »
Extrait de l’avant dire de Henri Falaise


[top]


Serge Delaive | Revolver

Revolver, poèmes, Editions de l'Acanthe, Namur/Bruxelles, 1999, avec un avant-dire et une linogravure originale signée Henri Falaise (80 exemplaires).